EN QUOI LA RECHERCHE FONDAMENTALE ET APPLIQUÉE EST NÉCESSAIRE

 

La recherche fondamentale, et non seulement appliquée, est particulièrement nécessaire dans le secteur de la connaissance des personnes surdouées. Et elle l'est sur des points dont nous ne pouvons ici que souligner l'existence, tout en suggérant des repères et des balises possibles pour leur traitement.

Certains exposés révèlent des confusions et des lacunes conceptuelles et empiriques permanentes dont découlent des préjugés et des pratiques insatisfaisantes. Indiquons par exemple la confusion courante et bizarrement entretenue, dans maints discours entre les termes et surtout les faits de douement et de talent. Les termes employés n'importent évidemment qu'en tant qu'il traduisent des faits et nous ne souhaitons aucun fétichisme lexical là où aucune distorsion n'est manifeste. En revanche, dans un domaine de large application, les mots sont souvent des vecteurs efficaces de conviction et de confusion.

Le douement a trait à une propriété psychologique de l'individu décelable de façon relativement scientifique au sens où, fréquemment, elle n'est pas spontanément, "naïvement", reconnue comme telle : ni par l'entourage, ni même par l'intéressé, ou par l'un des deux seulement. Incidemment l'usage québécois intéressant du terme de douance offre un mot à nos yeux très utile pour désigner la tendance effective du douement ou du potentiel d'aptitudes à s'accroître spontanément, ce qui est une de ses propriétés fondamentales chez l'enfant. Il n'y a pas de difficultés sérieuses mais bien des avantages, à préciser ces nuances.

En revanche, le talent concerne une caractérisation psycho-sociale constituée et admise par tout ou partie d'une société à un moment donné de son histoire pour désigner des capacités actuelles qu'on a tendance à prendre pour une réalité objective. Le douement a trait à une possibilité de réalisation conditionnelle. Il n'est décelable que par des indices certes comportementaux, ("performanciels" de ce point de vue) mais qu'il a fallu ou qu'il faut découvrir ou inventer, généralement en dehors de toute utilité manifeste de leur accomplissement. Le talent est une manifestation de réussite déjà admise au moins localement et temporairement de façon publique ou extrascientifique dans un champ donné de l'activité humaine où elle est appréciée comme un apport et à travers un consensus. Celui-ci est souvent quelque peu controversé, de façon discrète ou bruyante, mais il peut aller jusqu'à l'unanimité, voire au dithyrambe. Quitte pour ces consensus à s'effondrer ou à s'inverser surtout dans les domaines les moins technoscientifiques: pensons e.g. au destin très cahoté des peintres dits pompiers . Or les secteurs technoscientifiques sont pourtant par excellence des sites d'invention et d'innovation, alors même qu'ils sont fréquemment présentés comme antithèse des secteurs de choix de la créativité, assimilés parfois quasi exclusivement aux domaines esthétiques ou artistiques. Motif de réflexion supplémentaire.

L'un des mérites principaux de la psychologie scientifique, dès le début du siècle finissant, a été de découvrir des surdouements, c'est-à-dire des possibilités cachées, même là où l'appréciation scolaire ordinaire voyait souvent des échecs scolaires ou même des inéducabilités. Cette confusion suscite de façon renouvelée des problèmes précis de pratique pédagogique dans notre expérience même de classes spéciales pour surdoués. Tel ou tel surdoué est souvent jugé indigeste et inassimilable; et ces mêmes appréciations pragmatiques gênent partout jusqu'à l'excellente perspicacité, intuitive et descriptive, que certains d'entre nous ont pu parfois confirmer expérimentalement de la part des enseignants, jusque dans des secteurs scolaires difficiles.

Les termes douement et talent, ou leurs équivalents, ne peuvent pas être utilisés comme s'ils étaient interchangeables. La confusion devient gravissime quand elle sévit dans le champ de l'éducation. Ainsi on se trompe en utilisant l'expression "surdoué scolaire" pour désigner un "bon élève" et inversement pour le "mauvais élève". Le succès scolaire est déjà une variété de pré-talent plutôt que de douement.

La source complémentaire d'erreur, tout aussi importante, est de penser qu'un enfant doué de hautes aptitudes est un enfant qui réussit bien à l'école. La réalité quotidienne est trop souvent là pour montrer le contraire.

La difficulté n'est pas moindre quand il s'agit de confronter le palmarès scolaire au palmarès professionnel notamment pour le prévoir, celui-ci étant de l'ordre de la compétence ou du talent, et issu de facteurs "ondoyants et divers". L'idée d'un surdouement professionnel serait encore plus inexacte que celle de surdouement scolaire.

Ces distinctions n'ont aucunement pour but de décharger le spécialiste du douement de tout rapport avec les critères scolaires, les critères professionnels et les critères de la vie privée ou de la vie civique. C'est le contraire qui est vrai. Aucun travail sur le douement et le surdouement ne peut se faire sans la perspective de cette contexture, de ses interconnexions et de ses causalités. La famille comme l'école sont des microclimats qu'il importe de protéger. Mais l'isolement contre l'air du temps, s'il se voulait radical, serait impossible et d'ailleurs nuisible. Le rôle des formateurs est d'obtenir l'amélioration de l'air du temps quand il est pollué, mais aussi de préparer ceux qui recourent à eux à faire le meilleur usage, le plus efficace et plus inventif, de l'air du temps tel qu'il est.

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